Intrigue # 1
Shukumei avait finalement posé le pied à Nirally, après un voyage plus ou moins long, la veille. Le Sens de la Vie n’avait pas n’avait pu faire sourire et améliorer le palais des gens de la capitale depuis un moment déjà, se baladant au gré des envies de son propriétaire. Le kitsune logeait à l’auberge d’une vieille connaissance, il empruntait d’ailleurs ce qu’il appelait la « cuisine » pour commencer à installer ses affaires. Il en prenait possession, sans même avoir demandé la permission, le temps de son séjour. Son ami le connaissait assez bien pour savoir qu’en hébergeant l’huluberlu, il cédait les droits de cette pièce. Tant que sa femme et son fils y avaient accès, il ne disait rien. Shuku ne dérangeait pas la clientèle, les bonnes odeurs de ses petits plats en attiraient davantage même. Plusieurs se ramenaient, les yeux brillants, la bave à la bouche, en demandant ce qui sentait ainsi. La réputation du chef n’était plus à refaire, dès que sa présence en ville serait connue, tout le monde viendrait ! L’aubergiste lui cédait sa cuisine, mais il tirait sa part des profits. Tout le monde y trouvait son compte.
Shukumei s’était levé tôt, comme toujours. Il avait beaucoup de pain sur la planche. Il devait réorganiser cette cuisine qui était laissée à l’abandon – selon ses critères impossibles – pendant son absence, aller au marché pour trouver l’inspiration, mais aussi des produits frais à transformer en miracles culinaires. Première chose faite, une fois qu’il présentable pour les yeux les plus pudiques, fut de descendre et de se faire chauffer de l’eau. Un bon thé oolong le réveilla en douceur, caressant sa langue et son palais de sa chaleur souple et soyeuse. Les feuilles s’étaient délicatement dépliées dans l’eau, libérant une saveur veloutée de beurre, une pointe laiteuse. Il n’y avait pourtant rien ajouté, que de l’eau chaude et les feuilles de thé. Les yeux clos, un sourire satisfait, il en humait le doux parfum avant d’en savourer les nuances. Il se confectionna avec soin un petit encas, il prendrait le temps de se faire un repas plus digne, en revenant du marché, lorsqu’il aurait les ingrédients nécessaires. Pour le moment, son ami n’avait pas grand-chose dans sa cuisine… Shuku y trouva cependant le nécessaire pour faire une pâte qu’il laissa reposer, salivant déjà en pensant au délicieux pain qu’il pourrait en faire à son retour.
Le kitsune rangea la cuisine avant d’en sortir, salua poliment son ami et sa femme qui s’affairait avec les clients, puis se dirigea vers le marché. La journée s’annonçait bien, même s’il restait cet étrange sentiment qui le titillait au creux de l’estomac. Shukumei ne se rappelait pas de ses rêves de cette nuit, mais pour qu’il se sente ainsi… il était convaincu qu’ils n’avaient rien eu de bon. Il avait préféré ne pas en parler, ne pas alarmer son ami sans pouvoir lui dire à quoi faire attention. Avec un peu de chance, c’était simplement son estomac qui faisait la gueule parce qu’il avait faim ! Le kitsune se baladait dans le marché, discutant avec les commerçants, se renseignant sur la provenance de leurs victuailles, leur fraîcheur et leurs supposées vertus. Il faisait au mieux pour ignorer cette impression grandissante et dérangeante en lui. Le marché semblait calme… même si les gens étaient nerveux…? Pourquoi l’étaient-ils d’ailleurs ? Shuku tenta de se renseigner, on lui parla d’une histoire de lettres suivies par des morts. Un nouvel assoiffé de pouvoir essayait de se tailler une place ? Le chef ne s’en inquiétait pas tellement. Sa vie ne tournait qu’autour de ses folies culinaires, de toutes manières, il n’avait pas vraiment d’ennemis… sauf ces fous qui pensent qu’on peut mettre du ketchup aux tomates sur des pâtes et appeler ça un repas. Non ! Le ketchup aux tomates peut être une très bonne sauce, mais pas pour les pâtes !
Le logo qu’on lui décrivait ne ressemblait pas à une abomination culinaire, donc… Shukumei ne s’en formalisait pas trop. Il était en train de discuter avec un commerçant ambulant, homme qui disait venir de très loin avec des fruits exotiques. Jaunes, piquants, qui essaient de vous manger alors que vous les dévorer et sucrés. La description qu’il lui donnait d’un ananas amusait bien le kitsune qui était curieux d’y goûter. Le fruit en mains, il le palpait, écoutant l’homme lui dire qu’il pensait se lancer dans le cuir d’ananas aussi. Ce sujet intéressait un peu moins le chef cuisinier, mais bon, c’était intéressant de savoir que l’on pouvait faire ce genre de choses avec la plante d’un fruit ! Peut-être qu’un jour, on pourrait cuisiner ses chaussures ! Elles auraient ainsi une dernière utilité ! Enfin, c’était peut-être un peu dégueu… il faudrait bien les laver et les faire bouillir des heures durant… Steaks de chaussures au jus de pieds… Non, mauvaise idée. Shuku était toutefois intéressé par le fruit, curieux de tenter de l’incorporer à quelques mets, une fois qu’il y aurait goûté. Ses idées et ses réflexions furent toutefois interrompues. Un épais brouillard noir s’était levé sur la place. Les gens s’inquiétaient, paniquaient… personne ne comprenait rien. Shukumei non plus ne savait pas d’où ça sortait. Cependant, il était surtout ennuyé parce qu’il n’avait pas fini de faire le tour ! Il avait encore beaucoup de choses à acheter, lui ! Puis qui allait faire son pain, dans ces conditions ?!
La vie a ce don de ne pas avoir les bonnes priorités. Il porta sa main libre à son nez, le couvrant ainsi que sa bouche de sa manche. Il ne savait pas ce qu’était cette fumée, mais elle faisait qu’ils n’y voyaient presque rien et il était rarement bon d’inhaler ce genre de choses. Shuku tenta de demander au vendeur s’il savait de quoi il s’agissait, mais il n’eut aucune réponse. Ce dernier s’était-il déjà enfui ? Le kitsune soupira, puis plissa les yeux, sentant ce tiraillement intérieur revenir lui mordre les fesses. Il aurait dû s’écouter et ne pas sortir, ce n’était pas la faim qui l’avait dérangé tout ce temps. Il devait rentrer à l’auberge, s’assurer que son ami et sa famille n’avaient rien. Puis peut-être qu’eux auraient une explication. L’idée était là, c’était un bon début. Maintenant… comment rentrer alors qu’il n’y voyait rien ? Shukumei n’était pas exactement un habitué des lieux, beaucoup de choses avaient changé depuis sa dernière visite, donc il ne pouvait pas se fier à ses pieds pour retrouver leur chemin. Son ananas en main, il tenta de revenir sur ses pas, avançant à petits pas. Le silence était tombé avec la noirceur, rien de rassurant. Puis, un cri. Ou plutôt un appel. Une voix familière qui le força à arquer un sourcil. Qu’est-ce qu’il foutait ici ? Ah ! C’était lui qui avait énervé le mauvais magicien en gueulant et qui se retrouvait avec une mauvaise blague en guise de malédiction pour lui apprendre à parler plus calmement ?
-« Ton idole est là, pas besoin de crier ! » répliqua-t-il assez fort, essayant de le retrouver en se fiant à son ouïe.
C’était ironique de dire à quelqu’un de ne pas crier en répondant ainsi, mais bon.
-« Tu t’es pris la tête avec qui encore pour qu’on se retrouve dans cette situation ? » demanda-t-il, un sourire taquin aux lèvres.
Mieux valait se détendre un brin pour mieux savoir comment gérer la situation. Si Shukumei cédait à la panique, ça ne l’avancerait en rien… Il hésita à lancer son ananas dans le vide, se disant que l’autre kitsune gueulerait s’il se le prenait dans la tête et ainsi, il saurait où le trouver, mais… il allait déjà avoir assez de mal à rentrer, autant ne pas le faire les mains vides ! Il continua donc d’avancer, tentant de suivre le son de la voix de son interlocuteur.