Un rencard pas comme les autres

Bonjour, bonsoir, amis lecteurs. Votre aimable narrateur vint en ce jour vous raconter une histoire qui, j'ose le dire, à lever le cœur de notre chère Petrushka plus d'une fois. Moi-même je m'étonne qu'elle soit encore en vie après une telle aventure, de tels frissons en compagnie d'une des personnes qu'elle admire et chérit le plus dans tout Uxynael, et même peut être LA personne vivante qu'elle aime profondément et à qui elle se dévoue corps et âme, j'ai nommé son incroyable Capitaine Woon Kuraken. Vous savez, la vieille bique avait toujours un faible pour les capitaines à qui elle avait juré alléchant... Je veux dire ALLEGEANCE. Oui, comme vous l'avez peut-être compris, ce fut une journée peu ordinaire qui embrouilla l'esprit de notre putride mamie et comme j'aime me mettre dans son propre état d'esprit pour votre meilleure immersion, je m'excuse par avance pour mes balbutiements et autres maladresses prochaines.

Tout commença un jour qui ne se différenciait guère des autres, au début seulement. L'ancêtre de l'équipage du Léviathan faisaient ses tâches quotidiennes. Elle s'était réveillée à l'aube, bien avant le reste des moussaillons, et avait été dans la cambuse du bateau pour y faire son ménage journalier. Étrangement, la seule hygiène que Petrushka négligeait était la sienne et celle de ses affaires. Pour ce qu'il en était du reste, comme ce navire qui était son foyer ainsi que celui de sa famille, elle l'astiquait aussi souvent que son corps lui permettait. Et encore plus la pièce qui lui était attitrée car l'une des plus grandes craintes de la cambusière était d'être jugée inutile, rejeté de la famille par son incompétence et son âge avancé, ne plus pouvoir naviguer sur cet océan qu'elle adorait et, pire que tout, de décevoir son Capitaine. Une fois sa tâche menée à bien, elle s'autorisa un petit déjeuner, une soupe de légume à peine chauffé pour ne pas perdre de temps. Elle avait vu quelques défauts à certains cordages qui reliait des tonneaux de rhum, et elle comptait bien réparer tout cela aujourd'hui. Mais sa mission en serait tout autre, et elle l'apprit alors que Kuraken convoqua les membres de l'équipage afin de leur désigner ce qu'ils devaient faire. Au grand bonheur de la grand-mère des pirates, le Léviathan prendrait bientôt le large, et elle devait donc s'occuper du renouvellement des stocks. Bien bien mais... Avait-elle bien entendu ? Le Capitaine EN PERSONNE souhaitait l'accompagner ? Depuis le temps qu'elle était membre de cette famille, jamais elle n'avait connu de si grand honneur ! Elle n'en rougit que d'avantage quand celui-ci s'approcha d'elle pour lui adresser la parole en tête-à-tête et je dois vous le dire, elle ne comprit pas exactement la totalité de ce que Woon lui dit à ce moment tant son cœur battait la chamade. Elle se contenta d'acquiescer timidement en faisant demi-tour dans sa cambuse. Bien sûr, elle faisait le compte des stocks tous les deux jours et avait déjà notifié sur son calepin le nécessaire, mais elle profitera de ce temps pour se refaire une... beauté. Attendez ! Ne partez pas ! Ne vous inquiétez pas, elle n'allait pas prendre un bain, voyons, vous savez bien que ce n'est pas dans ses habitudes. De plus, je n'oserai décrire une telle toilette en annonçant ce qui se cache là en dessous ! Cette toilette qu'elle fit à ce moment-là est beaucoup plus simple, beaucoup plus... Petrushka.

Elle se hâta d'aller chercher un miroir de poche qu'elle avait emprunter à un certain pirate dont je tairais le nom, et commença son affaire. D'abord, sa tenue. Elle n'allait pas porter son habit de tous les jours alors qu'il s'agissait d'un tête à tête avec son capitaine ! Il fallait un peu d'exotisme, et pour cela elle choisit de déterrer de je ne sais où l'un de ses anciens vêtements. Il s'agissait là d'une tunique de laine de mouton tissée par-dessus une cape à capuche imposante faite en peau d'ours des neiges de Snowllia, et ne me demandez pas si c'est elle qui avait chassé la bête dans sa jeunesse, c'est une très longue histoire que je ne peux vous conter en ce jour.
Vous savez, je ne suis pas du genre à me soucier des tenues, et sans doute celle-ci fût belle il fut un temps lointain, mais comment vous expliquer... Déjà, on pouvait voir que l'habit avait UN CERTAIN âge. Il avait été recousu, rapiécé plus d'une fois. Parlons maintenant de l'odeur qu'il dégageait. On pourrait croire que le temps aurait pu atténuer tout cela, mais au contraire, elle sentait encore pire que ses tenues habituelles ; en plus d'une odeur de mort, de laine non entretenue, du fait qu'elle ne l'avait pas porté depuis un moment et donc qu'elle n'avait pas été « lavée » par la pluie, et il faut rajouter à cela une odeur de fauve et de renfermé, même de moisissures... Non vraiment, les mots ne sont pas assez forts pour décrire ce que les pauvres nez de ses compagnons allaient bientôt sentir. Pensez-vous que j'avais fini de parler de cet... habit de cérémonie ? Absolument pas, je dois maintenant parler du fait que l'habit est BLANC. Pensez-vous que l'hygiène de La Souillon s'accorde avec une tenue de couleur claire ? Évidemment qu'il y avait des tâches, brunes, vertes, jaunes, et même de ...sang ? Mais bon, il semblait évident que la grand-mère trouvait un petit côté « robe de mariée » à cette tenue, et présentait un sourire édenté à son reflet dans le miroir.
Sa préparation n'en resta pas là. Après s'être changée, il fallait s'occuper de ses cheveux, du moins ceux qui lui restaient. Il fallait être de toute beauté pour son Capitaine adorée. Elle lécha ses mains poisseuses de son horrible bave et vint plaquer ses cheveux gras sur le haut de son crâne. Sa bave-produit-de-beauté ainsi installé, un délicieux parfum d'haleine de poisson avarié se dégageait maintenant de sa chevelure. Heureuse de son « embellissement » -qui était en réalité TOUT LE CONTRAIRE, vous l'aurez comprit- , elle s'en alla là où son capitaine l'attendait, carnet dans sa besace habituelle.
Les clappements de sa canne se firent entendre dans la rue de Khor, la grand-mère arriva auprès de ceux qui l'attendait. Elle adressa un sourire sans dents qui se voulait rassurant mais qui n'en était qu'effrayant, puis inclina rapidement sa tête envers Kuraken. Si elle l'avait osé, elle aurait pu même lui faire un clin d'oeil.

- Votre bonne Petrushka est prête, Capitaine. Son Capitaine, Petrushka et les trois fainéants devraient se diriger vers le marchand de légumes à trois rues d'ici, oui. C'est un brave garçon qui aime particulièrement Petrushka et ne manque pas de lui offrir des cadeaux.

La vieille Petrushka râcla sa gorge, puis fit tourner sur sa langue bruyamment le mollard qu'elle venait d'expulser de l'arrière de sa gorge. Elle n'osait pas regarder son cavalier pour cette journée. Serait-il jaloux du beau marchand de légumes qui... « appréciait » un peu trop La Souillon... ?